Culte de la réformation 2024 !
Avant d’aller au but de ma prédication, voici quelques éléments de contexte. Paul ici parle de donner des messages de la part de Dieu – c’est ce qu’on appelle, dans le jargon, des prophéties. D’après la Bible, la prophétie ce n’est pas annoncer l’avenir, mais c’est recevoir une révélation : la révélation d’une parole de Dieu pour nous ici et maintenant. Cette parole va dévoiler les enjeux de ce qui se passe dans le présent. La parole prophétique a des objectifs clairs : au v.3 (que vous lirez chez vous) Paul nous dit qu’elle sert à encourager et à consoler. Et cette parole prophétique est utile à la communauté, qui peut comprendre ce qui est dit. Ma question, c’est : aujourd’hui, dans votre communauté de foi, est-ce que vous entendez des paroles prophétiques, c’est-à-dire des paroles que vous pouvez prendre pour vous, des paroles qui font sens et qui vous redonnent du courage et de la consolation ?
Paul évoque aussi le fait de parler en des langues inconnues – ce qu’on appelle le « parler en langues ». Le terme savant pour cette pratique, c’est « glossolalie ». Dans certains milieux chrétiens on encourage très fortement le fait de parler en langues, et dans d’autres milieux c’est quelque chose de très mystérieux. Paul, lui, n’est pas du tout choqué par cette pratique. Il dit lui-même plus loin qu’il parle en langues « plus que vous tous » (c’est au verset 18). Il ne fait pas comme nous, à renvoyer cette pratique au rang de ce qui est méprisable. Mais il dit que quand on parle ces langues inconnues, on ne communique pas avec les autres. On parle directement à Dieu, sans le filtre de notre raison. C’est un peu comme quand vous priez sous le coup d’une émotion très forte, quand vous venez de vivre un malheur par exemple. Parfois, vous ne trouvez pas les mots pour le dire. C’est une prière incompréhensible pour votre intelligence, mais Dieu comprend ce qui se passe en vous. On peut dire que le parler en langues, c’est quelque chose comme ça. Et Paul, qui ne renie pas cette pratique, dit simplement : « Il est inutile de faire ça en public ». Dans votre chambre, c’est bien, mais quand vous êtes ensemble, ce n’est pas pour vous retrouver seul à seul avec Dieu. C’est pour être avec les autres, et communiquer avec les autres. Le but d’être en Église, c’est de nous fortifier les uns les autres, pas de dire des choses incompréhensibles.
Pour terminer sur le contexte de ce passage, je rappelle que le début de ce chapitre 14 reprend la discussion sur les dons spirituels qui avait commencé au chapitre 12, et qu’il la prolonge après avoir fait un point sur ce qui est fondamental – c’est pour ça d’ailleurs que c’est au centre de son développement – à savoir 1 Corinthiens 13. Rappelez-moi de quoi parle 1 Corinthiens 13 ? De l’amour, oui ! Ce qui est fondamental – ce qui est au fondement de notre pratique spirituelle et cultuelle – c’est l’amour. Paul nous conduit dans une réflexion sur le langage : la prophétie est un langage construit et compréhensible, le parler en langue ne peut être langage que si quelqu’un peut l’interpréter. Paul affirme alors qu’en public il vaut mieux parler clairement, car c’est un langage clair qui édifie la communauté.
C’est un texte très intéressant pour commémorer la Réformation. En effet, le gros travail des Réformateurs, ça a été de traduire la Bible en langue courante. Luther a traduit en allemand, Olivétan a traduit en français, Wyclif l’a traduite en anglais, même si nous connaissons mieux la traduction du roi Jacques, Liesvelt aux Pays-Bas, bref, un grand mouvement s’organise avec la Réforme pour rendre la Bible compréhensible au plus grand nombre. Ça n’a pas suffi, il a fallu apprendre aux gens à lire et à écrire, pour qu’ils puissent comprendre la Bible. De la même manière, les cultes n’ont plus été dits en latin. Le latin restait la langue universitaire – je rappelle que les 95 thèses de Luther ont été rédigées en latin, et que l’institution de la religion chrétienne de Calvin aussi – mais il fallait, pour parler au peuple, parler la langue du peuple. Logique, hein, mais ce n’était pas tout-à-fait la norme dans l’Église. Mais les Réformateurs sont allés beaucoup plus loin. Au lieu de ne faire qu’apprendre les choses par cœur, ils se sont échinés à expliquer et à faire comprendre. Apprendre, c’est bien, mais si on ne comprend pas ça ne sert à rien. Et puis la musique… ah, la musique ! Finie la musique des experts ! Finies, les mélodies compliquées à chanter, où seules les personnes ayant fait musicologie pouvaient chanter dans le chœur de l’Église ! Luther a rendu la musique accessible à tout le peuple chrétien, en recomposant des morceaux plus simples, avec la musique de l’époque, et en calant des paroles en allemand, de manière à ce que chacun non seulement puisse comprendre ce qu’il chantait, mais aussi à ce que le chant soit moins technique, moins professionnel, plus accessible. A l’époque, certains lui reprochaient de niveler par le bas. C’est drôle, non ? Mais Luther était un passionné de musique, et jamais il ne l’aurait éliminée du culte. Calvin, lui, en était même venu à considérer que la musique ne servait à rien. Les instruments de musique ne sont là que pour que les humains se glorifient de savoir jouer. Instruments d’orgueil, disait-il. Bref, pour Calvin la musique n’était qu’une occasion de s’enorgueillir. Pour lui, seule la voix, c’est-à-dire le chant, pouvait glorifier Dieu. Ainsi, il a commandé une traduction chantée des psaumes – ce qu’on appelle les psaumes de la Réforme – et il préconisait de les chanter, surtout pas avec des mélodies à quatre voix, parce qu’il fallait qu’on les chante tous ensemble, à l’unisson. Pas de fioritures, ce qui est important dans le culte, c’est les paroles qu’on prononce, et il faut que les gens qui viennent puissent comprendre les paroles. La musique vient gâcher la qualité d’écoute des paroles. Bon, Calvin a vite fait des concessions parce que ça râlait. Les gens aiment bien la musique.
Ça n’a pas empêché les réformés du 16è siècle de démolir les orgues qui se trouvaient dans les Églises. Sauf en Hollande ! Je crois qu’en Hollande, les protestants aimaient bien les orgues, allez savoir pourquoi. Mais il faut bien comprendre que, symboliquement, l’orgue était l’instrument réservé en priorité aux dévotions du clergé. Il était logique de s’en prendre à ce symbole de captation de la foi par les autorités religieuses. On n’a donc pas joué d’orgue dans les Églises protestantes avant la fin du 16è siècle. Et ce n’est qu’au début du 17è que l’usage de jouer de l’orgue pour les parties musicales et pour l’accompagnement des chants s’est généralisé… dans les Églises luthériennes ! Chez les Réformés, les orgues ne sont revenus qu’au cours du 18è siècle, avec le mouvement piétiste. Alors que s’est-il passé, du 16è au 18è ? Comment chantait-on au culte, lorsqu’on était réformé ? On chantait les psaumes, et uniquement les psaumes, a capella. Si on voit se dessiner des chants à 3 ou 4 voix, c’est uniquement pour un usage privé, jamais pendant le culte. Donc on a là un schéma qui se dessine : les luthériens peuvent jouer et écouter de la musique pendant le culte (et l’histoire de Bach entre autres est là pour nous le rappeler), tandis que les Réformés apprenaient à chanter ensemble sans musique, mais avec un ministère dédié qui conduisait le chant : le ministère de chantre. Après le 18è, on a commencé à intégrer d’autres chants au culte protestant, notamment des chants qui venaient des mouvements de réveil, avec des paroles plus focalisées sur l’engagement envers le Christ et sur les émotions.
En tout ceci, une constante : rendre le message accessible à la compréhension des gens. Le souci des Réformateurs, c’est de parler un langage clair aux gens à qui l’on s’adresse. C’est de permettre aux contemporains d’entendre ce que nous annonçons, c’est-à-dire l’évangile de Jésus-Christ. A l’époque, c’est comme ça que ça s’est fait. Et je crois que notre histoire protestante est de nature à nous inspirer aujourd’hui. Vous connaissez peut-être ce qu’on appelle les « 5 solae » : l’Écriture seule, la foi seule, la grâce seule, le Christ seul et à Dieu seul soit la gloire. Ce sont les 5 doigts de la main de la Réformation. Un sixième doigt a été ajouté au 17è siècle : l’église doit sans cesse être réformée. Le protestantisme ne se fige pas dans le passé. Il est poussé en avant vers l’avenir. Il prend en compte la génération présente pour lui annoncer l’Évangile de Jésus-Christ. Et pour le faire, il apprend à parler le langage de sa génération. Il parle sa langue (avec ses mots, avec ses phrases, avec ses expressions particulières), il joue sa musique (avec ses styles, avec ses instruments) et le culte est organisé de manière à ce que cette génération ne se sente pas étrangère. Exclue. Si Dieu nous accueille, alors le culte doit être accueillant pour ceux qui n’ont pas la culture du culte traditionnel. Ça donne à réfléchir.
Il faut que, régulièrement, chacun et chacune trouve en Église le langage qui lui parle. Que chacun et chacune entende – non pas à chaque fois, mais régulièrement – l’Évangile dans la langue de son cœur. Et ça, ça passe par une diversité d’expressions cultuelles. Ça passe aussi par une conversion du cœur : je ne viens pas au culte pour passer du bon temps à écouter la musique que j’aime, je ne viens pas non plus pour conforter mes goûts culturels, ou pire : les inculquer aux autres. Si je suis spirituel, je dois être capable d’entendre une parole de Dieu pour ma vie même si la forme du culte ne me parle pas. Je dois être capable de reconnaître le besoin des autres, qui est d’entendre le message sous une autre forme que celle à laquelle je suis habitué. Il y a des gens qui viennent ici depuis des années et qui supportent une forme de culte qui ne leur parle pas. Je trouve ça très courageux de leur part, et j’aimerais bien que ce ne soient pas toujours les mêmes qui souffrent de la culture et des traditions des autres. J’aimerais que tout le monde s’ouvre au monde de l’autre, pour en retirer un enseignement personnel et une édification dans la foi. J’aimerais que nous tous, nous toutes, nous retrouvions cet esprit de la réformation, qui est l’esprit évangélique, du « je me fais tout à tous pour en gagner quelques-uns ». J’aimerais que nous venions moins souvent au culte pour être bénis, et que nous venions au culte plus souvent pour bénir les autres. J’aimerais que l’amour du prochain tel qu’il est défini dans 1 Corinthiens 13 soit le fondement de notre culte à Dieu.
Amen.